A quoi sert l’école en 2021?

Peut-on encore enseigner aujourd’hui comme on enseignait hier? A l’aune des enjeux socio-économiques, politiques, climatiques, sanitaires… associés aux nombreux travaux de recherches sur le cerveau et l’apprentissage auxquels nous avons la chance d’avoir accès gratuitement et librement, c’est une question que j’avais envie de soulever tant ce que j’observe ça et là m’interpelle.

J’avais déjà quelques doutes quant à l’efficacité de faire apprendre, encore en 2021, des kilomètres de leçons par coeur aux élèves de primaire. Ayant moi-même une mémoire qui tourne au ralenti, j’étais néanmoins curieuse de voir l’effet que cela pouvait avoir sur mes propres enfants. Ce que j’ai pu observer c’est que le fait d’avoir pour « devoir » d’apprendre par coeur met l’enfant sous une pression peu constructive, car s’il n’a pas la tournure exacte, s’il bute sur un mot, il perd ses moyens, ne voit pas à quoi se raccrocher et peut tout recommencer. L’enfant n’est pas préoccupé de comprendre, de saisir. Non, son unique préoccupation est de pouvoir réciter, être apte à délivrer une leçon comme on appuierait sur le bouton ON d’un robot. Et ce qui le motive est la peur d’échouer. Et c’est là tout l’enjeu. Apprendre ne veut pas dire comprendre. Restituer ne veut pas dire s’approprier. En écoutant Nadia Medjad, médecin et coach en neurosciences sur le podcast de Pauline Laigneau*, j’ai enfin vérifié mon intuition. Elle nous explique très simplement que pour apprendre, il faut s’entrainer à reformuler ce qui nous a été dit, ou ce qu’on a lu, en partant d’une page blanche. Car c’est bien le fait de faire appel à notre réflexion qui va permettre au cerveau d’intégrer les apprentissages. « Le simple fait d’essayer, même si on n’obtient rien, l’effort qu’on aura produit fait que l’on va engranger beaucoup mieux. L’apprentissage devient un effort. Il y a des méthodes qu’on connaît depuis 150 ans mais qu’on redécouvre. Quand on apprend quelque chose pour le lendemain, on va le mémoriser puis l’oublier aussitôt. Car on crée un chemin dans les neurones comme un chemin dans la neige, et cette neige est fragile si on ne repasse pas dessus« , explique t-elle au micro de Pauligne Laigneau.

Bien entendu le par coeur a ses vertus lorsqu’il s’agit de découvrir les poèmes d’Apollinaire, de Victor Hugo, de Lamartine. J’ai une pensée affectueuse pour mon prof de français de 3ème qui, au-delà de la récitation, m’a transmis ce goût du vers, du rythme des alexandrins qui s’enchevêtrent. La mémoire a sans nul doute besoin d’être stimulée.

Mais lorsqu’il s’agit d’une leçon de grammaire, d’orthographe ou de mathématiques, l’apprendre pour la réciter mot à mot quitte à n’en pas saisir le sens est-il utile et vient-il répondre aux besoins fondamentaux des enfants? « Le sens permet de retenir. Dès qu’on comprend, on apprend mieux que quand on ne comprend pas« , poursuit Nadia Medjad.

De quels apprentissages les enfants du XXIème siècle ont-ils réellement besoin? Qu’est-ce qui va les aider à pousser la porte d’une entreprise, à trouver du travail, à créer leur métier, à concrétiser leurs idées, et plus globalement, à construire leur équilibre personnel?

Discernement, réflexion, pensée, sens critique, intuition, écoute, curiosité, empathie, confiance en soi, sensibilité, persévérance, optimisme… amour. Voilà certains des éléments qui me paraissent essentiel de semer chez nos enfants pour qu’ils puissent faire fasse aux enjeux qui les attendent.

C’est le rôle des parents de les aider à trouver ces chemins-là mais pas seulement. Les parents ne peuvent pas être les seuls garants d’intégrer du sens là où il n’y en a parfois si peu quand leurs enfants leur demandent de leur faire réciter leurs leçons.

Dans une époque où la moindre connaissance est à portée de clic, ce qui me semble fondamental est de leur apprendre à penser, à chercher du sens. Du sens pratique, du sens logique, du sens déductif. Chercher une direction, est-ce par là que je veux m’engager ou plutôt par ici? Chercher un sens quand plus grand chose n’en a.

Des enseignants ou éducateurs qui soulèvent ces questions-là existent. J’en ai rencontrés cette semaine à l’école Montessori Paris 17. Peu importe qu’elle s’appelle Montessori, que l’enseignement y soit spécifique, les éducateurs que j’ai accompagnés ré-interrogent en permanence le sens de leur métier. Et leur ligne directrice n’est pas de faire des têtes bien faites, structurées, qui soulignent deux fois en vert et trois fois en bleu. Ils ne parlent pas de « gérer » des enfants – dont les comportements parfois difficiles les ont amenés ici ne pouvant s’adapter ailleurs. Ces éducateurs aspirent à créer du lien avec l’enfant pour qu’il puisse à son tour créer du lien avec ses pairs et les adultes qui l’entourent. Ils observent chaque enfant dans leur unicité avec un regard profondément encourageant. Quand un enfant ne parvient finalement pas à s’adapter, quand les parents choisissent de le changer une énième fois d’école, ils le vivent comme un échec tant ils ont investi de temps, d’idées, d’outils. Ce que j’ai observé dans cette équipe pédagogique qui m’a profondément touchée c’est qu’ils parlaient d’amour. « On les aime tellement nos élèves que l’on a du mal à accepter de ne pas y être arrivé« .

Pour que les enseignants puissent s’investir autant, il faut certainement du temps et des moyens. Il faut en avoir envie, pouvoir prendre de la hauteur, rompre avec ses automatismes. Cela demande un réel effort, mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle?

Dans cette école on apprend le respect, l’autonomie, l’écoute de l’autre, de soi, de son corps, de celui des autres… On apprend avec tous ses sens, on touche, on écoute, on respire, on bouge. On est vivants. De quoi d’autre nos enfants auront-ils besoin pour trouver leur place dans cette société accélérée, mouvante, impitoyable que d’être des roseaux que l’on peut plier dans tous les sens sans qu’ils ne rompent?

Julie Renauld

Thérapeute systémique, spécialiste de la relation

*Podcast Le Gratin de Pauline Laigneau

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